lundi 9 mai 2016

L'autre 8 mai 1945




Au moment où la France célèbre sa victoire sur l’Allemagne nazie, en Algérie se prépare un drame que longtemps les responsables politiques ont cru pouvoir étouffer d’abord puis ignorer ensuite.
Le 8 mai 1945 dans le nord-est de l’Algérie, à Sétif, Guelma et Kherrata des massacres commencent. Ces massacres dureront plus d’un mois faisant des victimes dans les 2 communautés (arabe et pied-noir). Le nombre de victimes « européennes » s'élève officiellement à 102 morts et 110 blessés (rapport officiel de la commission TUBERT de 1945). Cette commission parle aussi de 900 musulmans tués par les « émeutiers » dans le même temps. En revanche, le chiffre du nombre de victimes « indigènes » à la suite de la répression, par les autorités publiques ou lors de campagnes de représailles privées, est actuellement source de nombreuses polémiques, le chiffre de 35 000 à 45 000 morts est le plus souvent admis.

Alors que la presse coloniale fait sa une sur la défaite du nazisme, le même jour débutent les manifestations organisées par le PPA (Parti Populaire Algérien de Messali HADJ) à travers les principales villes algériennes.
Brandissant des drapeaux alliés, y compris celui de la France mais aussi l'emblème algérien, scandant des mots d'ordre revendiquant l'indépendance de l'Algérie, portant des gerbes de fleurs devant être déposées devant les monuments aux morts, plusieurs centaines de milliers d'Algériens répondent à l'appel du PPA.
A Sétif d’abord puis à Guelma la manifestation pacifique dégénère brutalement et vire au drame. Le cortège précédé par un groupe de scouts musulmans doit se rendre au Monument aux Morts de la ville afin d’y déposer des gerbes en hommage aux soldats algériens morts en combattant au sein de  l’armée française les nazis.
Le Préfet de Constantine, LESTRADE-CARBONNEL, ordonne aux forces de police de tirer sur les manifestants qui arborent le drapeau algérien. Le responsable de la police, Lucien OLIVIER, ne se fait pas prier : il fait tirer sur les manifestants. Les colons, organisés en milices, participent à la répression.
Les manifestations deviennent violentes, échappent au contrôle des nationalistes, tournent à l'émeute et embrasent tout l'Est algérien. Devant l'ampleur des cortèges de Sétif, mais aussi Kherrata et Guelma, l'administration coloniale fait intervenir l'armée. Légionnaires, tirailleurs sénégalais et même des prisonniers allemands et italiens sont engagés pour réprimer la révolte : manifestants fusillés sommairement par centaines, femmes violées...
Le Consul Général américain à Alger de l'époque a établi le nombre de victimes indigènes par la répression de l'armée à 40 000. Ce chiffre sera repris par les milieux nationalistes puis par le gouvernement algérien qui, commémorant ces massacres chaque année, parle des « 45 000 morts des massacres de Sétif » ».
Peu d'Européens protestent contre ces massacres.
Par exception l'un d'eux, le professeur Henri ABOULKER, médecin juif et résistant (l'un des organisateurs du putsch du 8 novembre 1942, qui a permis le succès de l'opération Torch à Alger), s'élève contre ces massacres. Il publie plusieurs articles dans le quotidien Alger Républicain, réclamant certes la sanction sévère des meurtriers provocateurs qui avaient assassiné 102 Français, mais à l'issue d'une procédure légale régulière. Et surtout, il dénonce sans réserve les massacres massifs et aveugles de milliers d'Algériens innocents. Il réclame aussi la libération immédiate de Ferhat Abbas, dont tout le monde savait qu'il avait toujours cantonné son action dans le cadre de la légalité.
Henri ABOULKER estimait que la défense des innocents devait primer toute considération politique.
Albert CAMUS dans le journal Combat des 13 au 23 mai demande qu'on applique aux Algériens (il écrit : « Le peuple arabe ») les « principes démocratiques que nous réclamons pour nous-mêmes ». Il affirme qu’il y a crise — et non de simples incidents — que « le peuple arabe existe », qu’il « n’est pas inférieur sinon par les conditions où il se trouve ». Plus encore, il proclame que « l’Algérie est à conquérir une seconde fois ».
Ferhat ABBAS, dans son testament politique, écrit en 1945 et resté inédit jusqu'en 1994, condamne « les organisateurs d’émeutes, ceux qui avaient poussé à la violence des paysans désarmés […] ceux qui tels des chiens sauvages se sont jetés sur Albert DENIER, secrétaire de la section communiste, auquel un salaud sectionna les mains à coup de hache ».
Lahcène BEKHOUCHE avait dix-sept ans lors du soulèvement du 8 mai 1945 dans le Constantinois. Ces événements-là resteront à jamais gravés dans sa mémoire. « Des Algériens avaient participé à la libération de la France. En contrepartie, nous demandions la liberté et l'égalité des droits », raconte le vieil homme. Pour avoir pris une part active aux manifestations, il fut condamné à mort. Une sentence finalement commuée en peine de prison.
Lahcène BEKHOUCHE sera incarcéré pendant dix-sept ans, jusqu'à l'indépendance, en 1962. 
Il faudra attendre le 27 février 2005 pour que, lors d'une visite à Sétif, Hubert COLIN de VERDIERE, ambassadeur de France à Alger, qualifie les « massacres du 8 mai 1945 » de « tragédie inexcusable ». Cet événement constitue la première reconnaissance officielle de sa responsabilité par la République Française.
Son successeur Bernard BAJOLET a déclaré à Guelma en avril 2008 devant les étudiants de l’université du 8 mai 1945 que « le temps de la dénégation des massacres perpétrés par la colonisation en Algérie est terminé ». Il déclare : « Aussi durs que soient les faits, la France n’entend pas, n’entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé […] Le 8 mai 1945, alors que les Algériens fêtaient dans tout le pays, au côté des Européens, la victoire sur le nazisme, à laquelle ils avaient pris une large part, d’épouvantables massacres ont eu lieu à Sétif, Guelma et Kherrata. […] pour que nos relations soient pleinement apaisées, il faut que la mémoire soit partagée et que l’histoire soit écrite à deux, par les historiens français et algériens […]. Il faut que les tabous sautent, des deux côtés, et que les vérités révélées fassent place aux faits avérés. ».

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