A titre d'information, mais aussi pour nous remémorer notre Histoire qui n'a pas toujours été très glorieuse nous reproduisons ci-dessous une tribune parue ce jour dans "Le Monde"
« Les crânes de
résistants algériens » n’ont rien à faire au Musée de l’homme
LE MONDE |
09.07.2016 à 13h30 | Par collectif
En mai 2011,
l’archéologue et historien algérien Ali Farid Belkadi lançait une pétition « pour
le rapatriement des restes mortuaires algériens conservés dans les musées
français », en particulier les crânes de résistants algériens tués par
le corps expéditionnaire français dans les années 1840 et 1850, qu’il venait de
retrouver dans les réserves du Musée de l’homme à Paris.
Alors que cet appel était lancé un an après le vote,
par le Parlement français, d’une loi exigeant la « restitution [à la Nouvelle-Zélande]
de toutes les têtes maories détenues en France », il n’a eu malheureusement
que très peu d’écho. En mai dernier, l’universitaire et écrivain algérien
Brahim Senouci a lancé un nouvel appel pour que soient restituées les
« têtes des résistants algériens détenues par le Musée de l’homme »,
afin que leur pays les honore, avec cette fois un écho nettement plus large.
Il nous a paru important de le relayer en rappelant la
raison de la présence dans un musée parisien de ces restes mortuaires, à partir
de l’histoire de l’un d’entre eux : le crâne du cheikh Bouziane, chef de la révolte de
Zaâtcha en 1849, écrasée par une terrible répression, emblématique de la
violence coloniale.
Un siège de quatre mois
En 1847, après la reddition d’Abd-el- Kader, les
militaires français croient que c’en est fini des combats en Algérie après plus
de dix ans d’une guerre de conquête d’une sauvagerie inouïe. Mais, alors que le
danger était surtout à l’ouest, il réapparaît à l’est début 1849, dans le
Sud-Constantinois, près de Biskra, où le cheikh Bouziane reprend le flambeau de
la résistance. Après des affrontements, il se retranche dans l’« oasis »
de Zaâtcha, une véritable cité fortifiée où, outre des combattants retranchés,
vivent des centaines d’habitants, toutes générations confondues.
Le 17 juillet 1849, les troupes françaises
envoyées en hâte entament un siège, qui durera quatre mois. Après un premier
assaut infructueux, l’état-major prend la mesure de la résistance et envoie une
colonne de renfort de plus de 5 000 hommes, commandée par le général Émile
Herbillon (1794-1866), commandant de la province de Constantine, suivie d’une
autre, des zouaves dirigés par le colonel François Canrobert (1809-1895). Deux
officiers supérieurs, plusieurs milliers d’hommes contre une localité du grand
sud algérien, deux décennies après la prise d’Alger : la résistance
algérienne était d’une ampleur et d’une efficacité exceptionnelles.
Le 26 novembre, les assiégeants, exaspérés par la
longueur du siège, voyant beaucoup de leurs camarades mourir (des combats et du
choléra), informés du sort que les quelques Français prisonniers avaient subi
(tortures, décapitations, émasculations…), s’élancent à l’assaut de la ville.
Chaque maison devient un fortin, chaque terrasse un lieu d’embuscade contre les
assaillants. Après d’âpres combats, au cours desquels les Français subissent de
lourdes pertes, le drapeau tricolore flotte sur le point culminant de l’oasis.
Deux ans plus tard, Charles Bourseul, un « ancien
officier de l’armée d’Afrique » ayant participé à l’assaut, publiera
son témoignage : « Les maisons, les terrasses sont partout
envahies. Des feux de peloton couchent sur le sol tous les groupes d’Arabes que
l’on rencontre. Tout ce qui reste debout dans ces groupes tombe immédiatement
sous la baïonnette. Ce qui n’est pas atteint par le feu périt par le fer. Pas
un seul des défenseurs de Zaâtcha ne cherche son salut dans la fuite, pas un
seul n’implore la pitié du vainqueur, tous succombent les armes à la main, en
vendant chèrement leur vie, et leurs bras ne cessent de combattre que lorsque
la mort les a rendus immobiles. ». Il s’agissait là des combattants.
Destruction
méthodique
Or, l’oasis abritait aussi des femmes, des vieillards,
des enfants, des adolescents. La destruction de la ville fut totale,
méthodique. Les maisons encore debout furent minées, toute la végétation
arrachée. Les « indigènes » qui n’étaient pas ensevelis furent
passés au fil de la baïonnette.
Dans son livre La Guerre et le gouvernement de
l’Algérie, le journaliste Louis de Baudicour racontera en 1853 avoir
vu les zouaves « se précipiter avec fureur sur les malheureuses
créatures qui n’avaient pu fuir », puis s’acharner : « Ici
un soldat amputait, en plaisantant, le sein d’une pauvre femme qui demandait
comme une grâce d’être achevée, et expirait quelques instants après dans les
souffrances ; là, un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant
et lui brisait la cervelle contre une muraille ; ailleurs, c’étaient
d’autres scènes qu’un être dégradé peut seul comprendre et qu’une bouche
honnête ne peut raconter. Des procédés aussi barbares n’étaient pas
nécessaires, et il est très fâcheux que nos officiers ne soient pas plus
maîtres en expédition de leurs troupes d’élite, qu’un chasseur ne l’est d’une
meute de chiens courants quand elle arrive avant lui sur sa proie. »
D’après les estimations les plus basses, il y eut ce
jour-là huit cents Algériens massacrés. Tous les habitants tués ? Non. Le
général Herbillon se crut obligé de fournir cette précision : « Un
aveugle et quelques femmes furent seuls épargnés ». Le pire est que la
presse française d’alors reprit ce rapport cynique.
Fusillés puis
décapités
Il y eut trois autres « épargnés »…
provisoirement. Les Français voulurent capturer vivant – dans le but de faire
un exemple – le chef de la résistance, le cheikh Bouziane. Au terme des combats,
il fut fait prisonnier. Son fils, âgé de quinze ans, l’accompagna, ainsi que
Si-Moussa, présenté comme un marabout. Que faire d’eux ? Ces « sauvages »
n’eurent pas droit aux honneurs dus aux combattants.
Le général Herbillon ordonna qu’ils soient fusillés
sur place, puis décapités. Leurs têtes, au bout de piques, furent emmenées
jusqu’à Biskra et exposées sur la place du marché, afin d’augmenter l’effroi de
la population. Un observateur, le docteur Ferdinand Quesnoy, qui accompagnait
la colonne, dessina cette macabre mise en scène qu’il publia en 1888 dans
un livre, témoignage promis à un certain avenir…
Que devinrent les têtes détachées des corps des
combattants algériens ? Qui a eu l’idée de les conserver, pratique alors
courante ? Où le furent-elles et dans quelles conditions ? Quand a eu
lieu leur sordide transfert en « métropole » ? Cela reste
à établir, même si certaines sources indiquent la date de 1874, d’autres la
décennie 1880. Il semble que certaines d’entre elles aient été d’abord exposées à la
Société d’anthropologie de Paris, puis transférées au Musée de l’homme. Elles y
sont encore aujourd’hui.
Soutenir les appels de citoyens algériens à rapatrier
ces dépouilles dans leur pays, pour leur donner une sépulture digne comme cela
fut fait pour les rebelles maori ou les résistants kanak Ataï et ses compagnons
(en 2014), ne revient aucunement pour nous à céder à un quelconque
tropisme de « repentance » ou d’une supposée « guerre
des mémoires », ce qui n’aurait strictement aucun sens.
Il s’agit
seulement de contribuer à sortir de l’oubli l’une des pages sombres de
l’histoire de France, celles dont l’effacement participe aujourd’hui aux
dérives xénophobes qui gangrènent la société française.
Les signataires:
Pascal Blanchard historien ; Raphaëlle
Branche, historienne ; Christiane Chaulet Achour,
universitaire ; Didier Daeninckx, écrivain ; René Gallissot,
historien ; François Gèze, éditeur ; Mohammed Harbi,
historien ; Aïssa Kadri, sociologue ; Olivier Le Cour
Grandmaison, universitaire ; Gilles Manceron, historien ; Gilbert
Meynier, historien ; François Nadiras, Ligue des droits de
l’homme ; Tramor Quemeneur, historien ; Malika Rahal,
historienne ; Alain Ruscio, historien ; Benjamin Stora,
historien ; Mohamed Tayeb Achour, universitaire.
collectif
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