Parce qu’il mérite d’être
diffusé
je publie cet article du journaliste Pascal RICHÉ
Que répondre
à votre beau-frère
qui vous
bassine sur les 35 heures ?
Par Pascal RICHÉ
Publié par
l’OBS le 10 février 2018
Les 35 heures fêtent ce samedi les 20 ans de leur vote
en première lecture. Le temps d'un bilan dépassionné ? Pas pour Jean-Claude,
toujours fumasse. Que lui envoyer dans les dents ?
Sacré
Jean-Claude ! Que seraient les déjeuners familiaux du dimanche sans lui ? Votre
beau-frère a entendu sur BFMTV qu’on célébrait ce samedi le vingtième
anniversaire des 35 heures (du moins l’adoption en première lecture de la
première loi Aubry), et son sang s’est mis à bouillir comme en 1998. Les images
de "prof Jospin" et de "cette hystérique d'Aubry" sont
revenues lui hérisser le poil, que le lascar a particulièrement dense et dru.
Bon, vous,
vous n’avez pas d’opinion super-tranchée sur le rôle joué par les 35 heures
dans l'économie, et on vous comprend. Le sujet est d’une complexité folle et
dresser un tel bilan n’est pas simple. Mais juste pour le plaisir de contredire
ce donneur de leçons qu’est Jean-Claude, voici ce que vous pouvez répondre Ã
ses arguments sans (trop) paraître de mauvaise foi.
Jean-Claude
: "Les 35 heures, ça n'a pas créé un seul emploi"
Ce n’est pas
ce que disent les études les plus sérieuses menées sur le sujet. Selon des
évaluations publiées par l'Insee et par la Dares (le service
statistique du Ministère du Travail), la loi Aubry a abouti à la création
d'environ 350.000 emplois entre 1998 et 2002. Et ces créations d'emploi, en
relançant la confiance, ont aidé l'économie à en créer bien d'autres : deux
millions d'emplois entre l'arrivée de Jospin au pouvoir et la crise de
2008-2009. Si les 35 heures avaient été si néfastes, crois-tu que cela aurait
été possible ?
En 2014, une
commission d'enquête parlementaire, présidée par un député du centre-droit
(Thierry Benoit, de l'UDI), a tenté d'y voir clair. Elle est arrivée au même
constat : les lois Aubry ont
contribué "de façon importante" aux créations massives d'emplois
constatées entre 1997 et 2002, constate-t-elle. Mais malgré tous ces chiffres
incontestables, les 35 heures ont simplement raté leur com'...
Jean Claude
: "N'empêche, si elles avaient fait baisser le chômage, ça se
saurait"
Il est passé
de 10,3 Ã 7,5% entre 1997 et 2002. Quel gouvernement a fait mieux ?
Jean-Claude
: "La réduction du temps de travail ne peut pas davantage résoudre le
chômage que le retour des femmes vers les foyers ou l'expulsion des immigrés.
Ce sont les mêmes raisonnements malthusiens, que les économistes réfutent
unanimement. Si l'emploi est reparti en 1998, ce n'est pas à cause du
partage du travail, c'est à cause de tout ce qui l'a accompagné : aides,
baisses des charges, modération salariale, confiance..."
Peut-être,
oui. Et alors ? Le résultat est le même : la réforme a redonné confiance, le
chômage a baissé et les travailleurs sont plus heureux.
Jean-Claude
: "Si c’était un tel succès, tous les pays nous aurait imités… Mais tous
considèrent que c’est une ânerie. Et aujourd'hui, ils bossent plus que nous
!"
La plupart
des pays industrialisés ont, comme nous, réduit la durée du travail, sous
d’autres formes. C’est une tendance historique.
Aujourd'hui,
tu ne le sais visiblement pas, la durée annuelle du travail en France (1.482
heures par an) est supérieure à celle de l'Allemagne, du Danemark, de la
Norvège et des Pays-Bas !
Lors des
deux dernières décennies, la baisse de durée annuelle moyenne du travail a été
similaire en Allemagne et en France. Nous avons opté pour les 35 heures, eux
pour le temps partiel : chacun a partagé le temps de travail à sa façon. En
Allemagne, les 35 heures sont la règle dans certains secteurs comme
l’automobile. Syndicats et patronat de la métallurgie viennent même de passer
un accord donnant à chaque travailleur le droit de passer à 28 heures pendant
deux ans, pour s’occuper de leurs enfants ou de leurs vieux parents.
Jean-Claude
: "En France, on a procédé de façon brutale, et cela ne permet aucune
souplesse"
Les heures
sup’ et les systèmes de forfait annuel permettent toute la souplesse que tu
veux. Selon une étude réalisée l'an dernier par le cabinet Randstad, 70% des
salariés à plein temps travaillent plus de 35 heures par semaine.
Pour être
précis : 28% travaillent entre 36 et 39 heures par semaine, et 43% plus de 39
heures. D’ailleurs, selon les statistiques du ministère du
Travail la durée de travail moyenne en France, pour un temps complet dans
le secteur marchand non-agricole, est de 39,1 heures. Et aujourd’hui, avec les
aménagements qui ont été votés par les récentes lois et ordonnances sociales,
il suffit d’un accord d'entreprise pour moduler le temps de travail en fonction
des besoins de la boîte.
Jean-Claude
: "Tous les patrons le disent : les 35 heures, c'est ce qui nous a mis
dedans. Elles nous ont fait perdre en compétitivité !"
Les patrons
ont beaucoup fulminé contre les 35 heures, mais la plupart se sont adaptés. Et
aujourd'hui, quand on les interroge, revenir aux 39 heures n'est vraiment plus
une obsession.
D'ailleurs,
aucun gouvernement n'a osé le faire, malgré les rodomontades électorales. Y
compris ton idole, Sarko, l'homme du travailler-plus-pour-gagner-plus :
il s'est contenté de contourner la question en défiscalisant les heures sup'.
Sur la
question de la compétitivité, je te renvoie au rapport parlementaire bipartisan
de 2014 : grâce aux baisses des charges qui ont accompagné le processus,
il n’y a pas eu de dérive des coûts salariaux unitaires à la suite des 35
heures, et les comptes des entreprises ne se sont pas dégradés. La
compétitivité coût s’est même améliorée de 1997 à 2002 : ce n’est qu’à partir
de 2004 que l’évolution a commencé à s’inverser, notamment vis-à -vis de
l’Allemagne. La forte appréciation de l'euro, à partir de 2002, explique donc
bien mieux que les RTT les problèmes de compétitivité qu'ont connus les
entreprises françaises. J'ajoute que les 35 heures, selon le même rapport,
ont permis d'améliorer la productivité horaire industrielle, grâce aux
réorganisations qu'elles ont déclenchées.
Jean-Claude
: "Dans les entreprises publiques, dans la fonction publique, dans les
hôpitaux, les 35 heures restent un cauchemar, en terme de gestion."
Ne mélange
pas tout ! Les entreprises publiques, d'abord : elles pratiquaient déjà les 35
heures.
Dans la
fonction publique, on y est allé très progressivement : 32 heures, 33 heures,
34 heures... Non, je blague, c'est une mauvaise plaisanterie de l'époque
Jospin, affreusement réactionnaire, cela ne me ressemble pas.
Je reprends
: dans la fonction publique, la RTT semble avoir permis de réduire la
fréquence des arrêts maladie et de l’absentéisme. Reste les hôpitaux. Il y a eu
des difficultés, c'est vrai, mais c'est à cause de leur organisation du
travail spécifique et du manque d'infirmières et autres personnels qualifiés
sur le marché de l'emploi. Le directeur de l'Assistance Publique Martin HIRSCH s'est
attaqué à la question en 2015, mais sans vraiment parvenir à réduire les
tensions. Car si on veut rendre plus humaines les conditions de travail Ã
l'hôpital, il n'y a qu'un moyen : y mettre plus d'argent.
Jean-Claude
: "Les 35 heures ont fait reculer le goût du travail"
Ce n'est pas
ce que disent les sondages. La valeur travail reste très ancrée dans notre
pays. Deux Français sur trois considèrent leur travail comme "très
important dans leur vie", selon une enquête de European Values Survey de
2008. La France se place de ce point de vue loin devant les Pays-Bas
(45%), le Royaume-Uni (45%) et même devant l'Allemagne (48%).
Et selon un
sondage ifop/Le Pélerin, les trois quarts des salariés interrogés se disent
heureux au travail !
Pascal Riché
Journaliste
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