Au moment où l’on commémore la Libération des Camps de déportés et au moment où l'on voit resurgir en Europe (mais aussi en France) la xénophobie , le racisme et l'antisémitisme, il m’a semblé
utile reprendre un article de Jérôme Garcin publié le 29 mars 2001 dans. "le Nouvel Observateur".
Il est indispensable pour ne rien oublier de
perpétuer la mémoire.
Jorge SEMPRUN a écrit de nombreux ouvrages concernant « son
expérience » dans les Camps nazis.
L’on pourra consulter en particulier, outre « Le
mort qu’il faut », trois autres livres « Mal et modernité », « Le
grand voyage » et « L’écriture ou la vie ».
Lors d’une visite officielle à Buchenwald qu’il effectue au titre
de Ministre de la Culture du Gouvernement espagnol ses hôtes lui montre sa
fiche d’arrivée au Camp de Buchenwald.
La première mort de Jorge
SEMPRUN
par Jérôme Garcin
«Je vivrai sous son nom, il mourra sous le mien»,
écrit Jorge Semprun du jeune déporté qui, il y a cinquante-sept ans, en 1944,
s'est éteint à ses côtés. Bouleversant.
Envoyée, en 1944, par la direction centrale des camps
de concentration, la demande de renseignement est destinée à l'antenne de la
Gestapo à Buchenwald : le déporté Jorge Semprun, 20 ans, matricule 44904,
est-il encore en vie? Si oui, est-il toujours sur cette colline boueuse de
l'Ettersberg dont l'âcre fumée du crématoire a chassé les derniers oiseaux ?
Une note lapidaire et interrogative de Berlin (dont la
raison ne sera connue qu'à la fin du récit) est toujours mauvais signe. Signe
qu'on peut vouloir hâter l'exécution d'un prisonnier.
Surtout lorsqu'il s'agit
d'un jeune communiste espagnol, membre d'un réseau anglais de Résistance. Afin
de prévenir toute menace, l'organisation clandestine du camp décide de faire
passer Jorge Semprun pour mort. Il suffit de lui trouver, au plus vite, un
cadavre adéquat. Le rôle est dévolu à François L., son exact contemporain, un
étudiant parisien qui a été livré aux nazis par son père collabo, et qui est en
train d'agoniser à l'infirmerie.
Pendant une nuit, allongé à côté de ce jeune homme qui
va s'éteindre sous son nom et dont, pour survivre, il va prendre l'identité, l'écrivain recueille ses
derniers mots, une phrase de Sénèque psalmodiée telle une prière: «Post
mortem nihil est ipsaque mors nihil» («Il n'y a rien après la mort, la
mort elle-même n'est rien»)... Cette histoire donne son titre et sa portée
au livre admirable de Jorge Semprun.
C'est écrit au fil méandreux, noueux, capricieux de la
mémoire.
Le désespoir côtoie ici la fraternité, et la haine, la gratitude.
Tout est mêlé, inextricable, inoubliable :
- la description des latrines collectives qui sont, malgré la puanteur et le vacarme intestin, un lieu de palabres, de chaleur, presque un îlot de liberté;
- le portrait de ceux qu'on appelle «les musulmans», ils ne sont plus vraiment en vie, pas encore morts, exclus du travail forcé, ils s'abandonnent, se laissent glisser;
- les visites dominicales au sociologue Maurice Halbwachs, qui attend la fin, sur son châlit du block 56;
- l'évocation tremblée de ce Russe musclé qui, par «pure bonté», décharge Semprun de l'énorme pierre que, par sadisme, un SS lui avait attribuée;
- le souvenir de Paquito, joli Espagnol de 16 ans qui, déguisé le soir en femme, «allumait dans les yeux des mecs des arcs-en-ciel de désir fou»;
- l'art de résister à la capitulation en se récitant des vers de Rimbaud ou de Garcia Lorca;
- la façon aussi de refuser de croire ce déporté russe, quand il assène au jeune communiste que, en URSS aussi, il existe des camps...
- la description des latrines collectives qui sont, malgré la puanteur et le vacarme intestin, un lieu de palabres, de chaleur, presque un îlot de liberté;
- le portrait de ceux qu'on appelle «les musulmans», ils ne sont plus vraiment en vie, pas encore morts, exclus du travail forcé, ils s'abandonnent, se laissent glisser;
- les visites dominicales au sociologue Maurice Halbwachs, qui attend la fin, sur son châlit du block 56;
- l'évocation tremblée de ce Russe musclé qui, par «pure bonté», décharge Semprun de l'énorme pierre que, par sadisme, un SS lui avait attribuée;
- le souvenir de Paquito, joli Espagnol de 16 ans qui, déguisé le soir en femme, «allumait dans les yeux des mecs des arcs-en-ciel de désir fou»;
- l'art de résister à la capitulation en se récitant des vers de Rimbaud ou de Garcia Lorca;
- la façon aussi de refuser de croire ce déporté russe, quand il assène au jeune communiste que, en URSS aussi, il existe des camps...
Jérôme Garcin
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